Disability Rights Coalition c. la Nouvelle-Écosse (procureur général), 2021 NSCA 70 (CanLII)

Il s’agit d’une affaire sans précédent qui conteste le refus de permettre aux personnes handicapées de bénéficier de l’aide sociale et du soutien nécessaire pour vivre dignement dans la communauté en tant que violation de la législation en matière de droits humains. Après avoir obtenu une décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse concluant à une présomption de discrimination systémique, les requérant-e-s ont négocié des mesures de redressement systémique complètes et exécutoires qui garantissent des changements importants dans les programmes, l’affectation des ressources nécessaires, une participation significative et des résultats clairement définis assortis d’un échéancier précis de façon à assurer une pleine conformité dans un délai de cinq ans. 

En compagnie de trois requérantes individuelles, la Disability Rights Coalition a déposé une plainte auprès de la Commission d’enquête sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse alléguant que la non-prestation par la province d’une aide sociale et d’un soutien adéquats et opportuns permettant aux personnes handicapées de vivre en communauté a entraîné un placement en établissement et des retards inutiles, ce qui constitue une discrimination systémique fondée sur un handicap. En octobre 2021, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a déterminé qu’une présomption de discrimination systémique avait été établie et la province a consenti à négocier des mesures de redressement systémique. Deux experts extérieurs indépendants ont été engagés pour dialoguer avec le groupe de requérantes, ainsi qu’avec le gouvernement en vue de présenter un rapport et des recommandations concernant les changements à apporter au système d’aide sociale aux personnes handicapées pour mettre fin au traitement discriminatoire. À la suite de longues négociations entre les parties, un règlement négocié, sous la forme d’ordonnance par consentement provisoire, a été présenté à la Commission d’enquête pour approbation. L’ordonnance par consentement provisoire définit un processus de suivi des progrès accomplis par la province vers l’atteinte des résultats escomptés dans les délais prescrits sur une période de cinq ans, assure la participation significative des titulaires de droits, prévoit une mise en œuvre locale, ainsi que des modifications des politiques et des ajustements continus en fonction des nouvelles circonstances. L’une ou l’autre des parties peut, en tout temps, retourner devant la Commission d’enquête en cas d’insatisfaction concernant l’application des conditions de l’ordonnance par consentement provisoire. Il est convenu qu’au terme de cinq ans, la province doit démontrer qu’elle a atteint les résultats finaux en ce qui concerne la prestation d’une aide sociale qui réponde pleinement aux différents besoins des personnes handicapées, leur permettant de vivre en communauté, met fin aux temps d’attente et respecte ses obligations législatives et relatives aux droits humains. La décision constitue un précédent important pour la dénonciation de violations de l’article 19 de la CDPH au titre de la législation antidiscriminatoire et représente une avancée majeure dans la conception de mesures négociées de redressement structurel systémique après que les tribunaux ont précisé la nature des obligations des gouvernements.

Date de la décision: 
6 oct 2021
Forum : 
Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse
Type de forum : 
Domestique
Résumé : 

Cette affaire a débuté en 2014 avec le dépôt d’une plainte relative aux droits humains au nom de trois requérantes individuelles et de la Disability Rights Coalition alléguant une discrimination systémique fondée sur le handicap et sur la source de revenu dans la prestation d’aide sociale, contrevenant à la Loi sur les droits de la personne. Les requérantes ont affirmé que la Province de la Nouvelle-Écosse (la Province) avait fait preuve de discrimination à leur égard dans la prestation d’aide sociale, en raison de leurs handicaps physiques et mentaux et de leur situation financière. 

La Commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête) a statué que chaque plaignante individuelle avait établi une présomption de discrimination le 4 mars 2019, mais uniquement en ce qui concerne le temps que chaque plaignante avait été placée dans une aile psychiatrique de l’Hôpital de la Nouvelle-Écosse. La plainte pour discrimination systémique de la DRC a été rejetée en bloc. 

En ce qui concerne les plaintes individuelles, l’étape suivante dans le processus juridique canadien exige que la province présente une argumentation juridique pour justifier son traitement discriminatoire ou renonce à ce droit avant de passer à l’étape des réparations. La Province a choisi de ne pas tenter de justifier le traitement, et une audience s’est ensuite tenue pour discuter des réparations possibles pour chaque plaignante. Après une audience portant sur les réparations, la Commission d’enquête a accordé des dommages-intérêts de 100 000 $ chacune à deux des plaignantes et de 10 000 $ à chacune des bénéficiaires de la troisième plaignante, qui était décédée depuis le début de l’audience. La Commission a également ordonné que la Province paie les frais du conseiller juridique des plaignantes. 

Concernant le rejet de sa partie de la plainte et de l’allégation de discrimination systémique, la DRC a fait appel afin que soit établie une présomption de discrimination systémique pour que sa plainte puisse être entendue. En même temps, les plaignantes individuelles ont contesté l’analyse faite par la Commission d’enquête pour le constat de présomption et les dommages-intérêts. La Province a elle-même aussi interjeté appel face au raisonnement de la Commission d’enquête. Quand l’affaire a été entendue devant la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse, celle-ci a permis l’intervention d’Inclusion Canada, du Conseil des Canadiens avec déficiences et de Personnes d’abord du Canada. 

Au premier rang des questions examinées par la Cour d’appel se trouvaient les suivantes :

  1. Concernant l’appel interjeté par la Province, une bonne analyse de la présomption est-elle venue corroborer la conclusion finale de la Commission d’enquête en rapport avec les requérantes individuelles ?
  2. Concernant l’appel interjeté par les plaignantes individuelles, la Commission a-t-elle fait erreur dans son évaluation des dommages-intérêts ?
  3. Concernant l’appel interjeté par la DRC, la Commission d’enquête a-t-elle fait erreur dans sa définition des critères de présomption de discrimination dans un cas de discrimination systémique ? 
  4. Concernant l’appel interjeté par la DRC, la Commission d’enquête a-t-elle fait erreur en concluant qu’une allégation de discrimination systémique était inexistante à partir des éléments de preuve dont elle disposait ? Si oui, le dossier établit-il une présomption de discrimination systémique ?

 

Questions 1 et 2 : Concernant les plaintes individuelles, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que les critères de présomption de discrimination définis par la Commission d’enquête étaient corrects et que celle-ci ne créait pas un « nouveau » critère dans son évaluation des allégations de discrimination des plaignantes, comme l’affirmait la Province. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a statué que la Commission d’enquête avait appliqué correctement les principes énoncés dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 ; « pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer :

  1. qu’ils possèdent une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu du Code, 
  2. qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service, et 
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. » Id.

La Cour d’appel a conclu dans sa décision que la Commission d’enquête avait commis « des erreurs fondamentales tant dans son évaluation des dommages-intérêts que dans l’adjudication de frais » aux plaignantes individuelles. Elle a conclu que la présomption de discrimination devrait avoir couvert une période plus longue pour deux des plaignantes, Mme MacLean et Mme Livingstone. La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a augmenté les dommages-intérêts accordés à la succession de Mme MacLean et accordé des dommages-intérêts supplémentaires à M. Delaney. 

Questions 3 et 4 : La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que la Commission d’enquête avait fait erreur dans son analyse de la plainte de discrimination systémique déposée par la DRC. La Cour d’appel a conclu que la DRC avait réussi à établir une présomption de discrimination systémique et a renvoyé l’affaire de l’audience de justification à une nouvelle commission d’enquête. 

Bien que le gouvernement ait promis que la Province n’irait pas en appel de la décision d’octobre 2021, il a fait une demande d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse auprès de la Cour suprême du Canada. Le 14 avril 2022, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel de la Province, faisant passer le dossier au stade des réparations, et a condamné la Province à verser des dépens à la DRC. En juillet 2022, la Province a retiré sa requête voulant que la discrimination soit justifiée comme étant une limite raisonnable prévue par la loi entre autres motifs et le dossier a pu passer au stade des réparations. 

En juin 2023, la Disability Rights Coalition, le Gouvernement de la Nouvelle-Écosse et la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse ont déposé auprès de la Commission d’enquête sur les droits de la personne une ordonnance par consentement provisoire qui établit un accord provisoire concernant des mesures contraignantes de redressement systémique visant à remédier au traitement discriminatoire des personnes handicapées de la province. 

L’ordonnance est dite « provisoire » car il s’agit d’une première ordonnance obligeant la Province à prendre des mesures pour mettre fin à la discrimination systémique. Une ordonnance finale visant la pleine résolution de la plainte relative aux droits humains déposée par la DRC ne sera rendue que lorsque le gouvernement aura mis en œuvre l’ensemble de ses obligations juridiques prévues par l’Ordonnance par consentement provisoire, mettant ainsi un terme aux pratiques et politiques discriminatoires relevées par la Cour d’appel. 

Parmi les « résultats » finaux exigés dans l’ordonnance provisoire figurent la fermeture de tous les établissements, l’élimination de la liste d’attente pour l’accès à l’aide sociale, notamment au soutien et aux services permettant de vivre dans la communauté de son choix, et le respect par le gouvernement de son obligation juridique de fournir une aide sociale en tant que droit de toutes les personnes dans le besoin, conformément à la Loi sur les droits de la personne. 

La mesure de redressement est juridiquement contraignante et impose à la Province l’obligation exécutoire de remédier à la discrimination systémique d’ici le 31 mars 2028 et d’assurer la réalisation des objectifs et le respect des échéanciers établis pour que les progrès nécessaires soient accomplis vers l’atteinte de ce but.

Application des décisions et résultats: 

L’ordonnance par consentement provisoire exige que la Commission d’enquête continue à avoir compétence sur le plan de réparation jusqu’à ce qu’il soit établi de façon claire et déterminante que la discrimination systémique a complètement pris fin. L’accord provisoire lui-même donne à la Province un délai de cinq ans pour réaliser les résultats prédéterminés, la date de fin étant fixée au 31 mars 2028, sous la supervision de toutes les parties concernées, ainsi que d’un observateur expert indépendant qui présentera des rapports annuels sur le respect par la Province de ses obligations en matière de réparations. L’ordonnance par consentement provisoire prévoit la mise en œuvre du plan quinquennal avec coordination au niveau local et des exigences applicables précises visant à éliminer les listes d’attente pour les personnes handicapées et faire en sorte que les modifications apportées au système répondent pleinement aux différents besoins des personnes handicapées et assurent un véritable accès à l’aide sociale.

Groupes impliqués dans le cas: 
  • Disability Rights Coalition (requérants)
  • Inclusion Canada, Conseil des Canadiens avec déficiences et Personnes d’abord du Canada (intervenants)
Importance de la jurisprudence: 

L’une des conclusions les plus importantes de la Cour d’appel est celle selon laquelle favoriser le placement de personnes handicapées en établissement de soins collectifs est discriminatoire en soi. La Cour a également conclu que d’inscrire les personnes handicapées sur des listes d’attente indéfinies et de leur offrir un soutien dans des lieux éloignés de leur famille et de leurs amis et aussi discriminatoire. Finalement, la Cour a statué que le fait que la Province n’offre pas de plein droit un soutien aux personnes handicapées était également discriminatoire. 

Un autre résultat important de cette affaire, et de l’ordonnance par consentement provisoire en particulier, c’est qu’elle précise que les engagements du gouvernement envers les personnes handicapées devraient être juridiquement contraignants. L’ensemble des rapports, des données et autres documents liés à la mise en œuvre et au suivi des conditions contenues dans l’accord provisoire seront accessibles au public en ligne sur un site Web dédié de la Commission des droits de la personne dès qu’ils seront mis à disposition des parties. L’affaire représente une victoire tant pour les plaignantes individuelles — traitées de manière indigne ou irrespectueuse par la Province — et pour toutes les personnes handicapées qui veulent simplement vivre dignement dans la communauté. La conclusion de discrimination systémique de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse était unique dans le contexte canadien, où le gouvernement a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, mais où son application par le gouvernement est souvent insuffisante. 

L’ordonnance par consentement provisoire à caractère contraignant pourrait servir de modèle pour les personnes et les groupes de plaidoyer tant canadiens qu’internationaux qui luttent pour obtenir des mesures efficaces de redressement systémique pour les violations commises contre les personnes handicapées et autres groupes privés de l’égale jouissance des droits ESC. Pour la province, elle impose au gouvernement l’obligation juridique immédiate d’évaluer et de remanier considérablement des pratiques et politiques datant de plusieurs années et jugées défavorables à un grand nombre de personnes handicapées, en fonction d’échéanciers exécutoires et des résultats exigés. 

Le Rapport technique produit par deux experts indépendants à l’intention de la Disability Rights Coalition et de la Province de la Nouvelle-Écosse présente une vue d’ensemble solide et détaillée de l’état de la discrimination en Nouvelle-Écosse, ainsi que des recommandations concernant les modifications que la Province devrait apporter au soutien qu’elle offre aux personnes handicapées. Ce rapport, en complément du travail de plaidoyer réalisé par la DRC et ses organisations partenaires, constitue une feuille de route pour les défenseur-e-s au Canada et ailleurs.